En francés


Résumé du jugement de la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme
AFFAIRE MANUEL CEPEDA VARGAS versus COLOMBIE 

Mercredi 23 juin 2010. 
Collectif d’avocats Jose Alvear Restrepo. http://www.colectivodeabogados.org/Resumen-de-la-sentencia-caso 

Traduction Polomosca
Nous présentons un résumé de ce jugement car nous le considérons d’une énorme importance. 
  • Droit à la vie  
Pour la Cour, l’Etat colombien avait un « devoir spécial de protection » envers le sénateur Cepeda Vargas : « il est évident pour le Tribunal que les autorités se sont abstenues de le protéger de manière injustifiée, (…) les quelques mesures qui furent adoptées étaient clairement insuffisantes dans un contexte de violence contre les membres et les dirigeants de l’Union Patriotique (UP), qui imposait à l’Etat une obligation spéciale de prévention et de protection (par. 100) ».

L’exécution du Sénateur Cepeda a été permise, sinon favorisée, par plusieurs institutions et autorités publiques qui se sont abstenues d’adopter les mesures nécessaires pour protéger sa vie et tout particulièrement, n’ont pas diligenté d’enquêtes adéquates sur les menaces proférées dans le cadre du plan d’extermination des dirigeants de l’Union Patriotique (UP). Dans ce cas, l’exécution d’un sénateur de la République n’a pas pu être mis en œuvre sans la planification et la coordination nécessaires (par. 102) 

La Cour estime que la responsabilité de l’Etat concernant la violation du droit à la vie du Sénateur Cepeda Vargas n’est pas uniquement engagée par l’action des deux sous-officiers déjà condamnés pour cette exécution, mais qu’elle l’est également par l’action conjointe de groupes paramilitaires et d’agents de l’Etat. Ceci confère un caractère complexe à ce crime qui aurait dû être abordé sous cet angle par les autorités chargées de l’enquête, qui n’ont pas réussi à établir tous les liens entre les différents acteurs du crime perpétré ni à en déterminer les auteurs intellectuels. La planification et l’exécution extrajudiciaire du Sénateur Cepeda Vargas, telle qu’elle s’est déroulée, n’aurait pas pu avoir lieu sans que les cadres supérieurs et les chefs de ces groupes n’en aient connaissance ou n’en aient donné l’ordre, dans un contexte général de violence contre l’UP (par. 124). 

Les agents de l’Etat n’ont pas seulement failli à leurs devoirs de prévention et de protection des droits du Sénateur Cepeda Vargas, (…) ils ont également utilisé leur investiture officielle et les ressources de l’Etat pour commettre les violations. Les institutions, les mécanismes et les pouvoirs de l’Etat, au lieu de fonctionner comme des garanties de prévention et de protection de la victime contre les agissements criminels de leurs agents, se sont avérés procéder à une instrumentalisation du pouvoir de l’Etat comme moyen et ressource pour commettre la violation des droits qu’ils auraient dû respecter et garantir. Ceci a été favorisé par des situations d’impunité de ces graves violations, impunité mise en œuvre et tolérée puisque l’ensemble des enquêtes n’ont pas été cohérentes entre elles, n’ont pas été suffisantes pour arriver à éclaircir les faits, et n’ont donc pas rempli de manière satisfaisante le devoir de vraiment rechercher quelle a été la violation du droit à la vie (par. 125).

  • Garanties judiciaires 
Dans cette affaire, la Cour signale que 16 ans après les faits, le procès pénal est toujours en cours, sans qu’aient été inculpés et éventuellement sanctionnés tous les responsables, ce qui dépasse excessivement les délais raisonnables pour ces effets (par. 128).



En ce qui concerne les procédures disciplinaires et le contentieux administratif, bien qu’ils ne se substituent pas au procès pénal, on estime qu’ils sont utiles comme compléments pour établir la vérité, déterminer les dimensions de la responsabilité de l’Etat et réparer intégralement les violations (par. 130). Sur ce point, la Cour a considéré que la sanction de « réprimande sévère » dans le procès disciplinaire a été disproportionnée (par. 137).  La sentence du contentieux administratif n’a pas contribué « de manière substantielle à l’accomplissement du devoir d’enquêter et d’éclaircir les faits », dans ce type de procès, « les autorités compétentes (…) étaient appelées non seulement à vérifier les omissions de l’Etat mais aussi à déterminer les champs réels de sa responsabilité institutionnelle (par. 140) ».

1.      Le devoir d’enquête face à des cas complexes

Diligenter dûment les enquêtes impliquait de prendre en compte les modèles d’action de la structure complexe des personnes qui a ont commis l’exécution extrajudiciaire. Comme cette structure persiste après la perpétration du crime et qu'elle vise à maintenir son impunité, elle opère en utilisant des menaces pour effrayer ceux qui enquêtent et ceux qui pourraient être témoins ou avoir un intérêt dans la recherche de la vérité. C’est le cas des familles des victimes. L’Etat aurait dû adopter les mesures suffisantes de protection et d’investigation pour prévenir ce type d’intimidations et de menaces (par. 149).
Conformément à la règle de proportionnalité, les Etats doivent assurer, dans l’exercice de leur devoir de poursuite contre ces violations graves, que les peines imposées et leur exécution ne constituent pas des facteurs d’impunité, en prenant en compte différents aspects comme les caractéristiques du délit, la participation et la culpabilité de l’accusé (par. 150). L’imposition d’une peine appropriée en fonction de la gravité des faits, par l’autorité compétente et pourvue du fondement correspondant, permet de vérifier qu’elle n’est pas arbitraire et de contrôler qu’il ne s’agit pas d’une forme d’impunité de facto (par. 153).
Concernant les remises de peine obtenues par les auteurs matériels ainsi que leur réclusion dans des établissements militaires, la Cour a signalé que « le fait d’accorder indûment ces bénéfices peut éventuellement conduire à une forme d’impunité, particulièrement quand des violations graves des droits de l’homme ont été commises, comme dans le cas présent (par. 152) ».

2.      Le processus de démobilisation paramilitaire

A propos des démarches mises en œuvre dans la procédure de « Justice et Paix », la Cour a constaté qu’un des auteurs matériels de l’exécution du sénateur Cepeda est entré dans le dispositif de démobilisation collective du Décret 3360 de 2003, sans être lié à l’investigation pénale sur le crime bien que l’on ait connaissance de sa participation depuis 1994. C’est pourquoi la Cour considère « que, s’agissant de délits graves et d’une violation grave des droits de l’homme, il faisait partie d’une diligence en bonne et due forme que les autorités collaborent entre elles afin d’identifier et de reconnaître individuellement les personnes suspectées ou accusées d’avoir commis ces graves violations (par. 163).


Concernant les bénéfices dérivés de « La loi de justice et paix », la Cour signale qu’ « un Etat ne peut pas accorder une protection directe ou indirecte à des inculpés pour des crimes qui impliquent des violations graves des droits de l’homme à travers l’application indue de figures légales qui portent atteinte aux obligations internationales pertinentes (par. 166) ».

Face à l’extradition des paramilitaires qui sont entrés dans le processus ouvert par la loi de justice et paix, elle a adopté la décision du tribunal de cassation de la Cour Suprême de Justice qui rejette l’extradition d’un paramilitaire pour protéger les droits des victimes et éviter que cette figure ne devienne un mécanisme qui favorise l’impunité. C’est pourquoi la Cour, dans sa résolution, a déclaré que l’Etat Colombien doit « assurer que les paramilitaires extradés puissent être mis à la disposition des autorités compétentes et qu’ils continuent à coopérer dans les procédures qui se déroulent en Colombie. De même, l’Etat doit assurer que les procédures à l’étranger ne ralentissent pas, ni n'interfèrent dans les investigations sur les graves violations qui ont eu lieu dans cette affaire, ni ne diminuent les droits reconnus pour les victimes dans cette Sentence, à travers des mécanismes qui rendent possible la collaboration des extradés dans les enquêtes diligentées en Colombie et, éventuellement, la participation des victimes dans les procédures mises en œuvre à l’étranger (par. 217 littéral g) ».

  •  Honneur et dignité, droits politiques
La Cour a constaté que les déclarations formulées par des fonctionnaires publics sur le lien supposé entre la UP et les FARC, ont méconnu le droit du Sénateur à l’honneur et à la dignité (par. 170).

  • Liberté d’expression
« La Cour a établi qu’il est possible que la liberté d’expression se voit illégitimement restreinte par des conditions de facto qui engendrent, directement ou indirectement, une situation de risque ou de grande vulnérabilité pour ceux qui l’exercent. C’est pourquoi l’Etat doit s’abstenir d’agir de manière telle qu’il stimule, favorise ou approfondisse cette vulnérabilité (par. 172) », comme il l’a fait dans cette affaire. 
  • Droits politiques, Liberté d’Association, Liberté de pensée et d’expression
Dans cette affaire, la Cour Interaméricaine a évalué ces droits de manière globale en considérant « que ces droits ont une importance fondamentale dans le Système Interaméricain car ils sont étroitement liés pour assurer, ensemble, le jeu démocratique. Comme le Sénateur Cepeda Vargas était à la fois dirigeant de la UP (Union Patriotique) et du PCC (Parti Communiste Colombien), communicateur social et parlementaire, il n’est pas nécessaire de séparer ces activités pour déterminer laquelle a été l’origine ou la cause de chacune des violations présentées, car il exerçait ces droits au cours de la même période, dans le même contexte et la même situation de vulnérabilité déjà mentionnée (par. 171) ».

En ce qui concerne la liberté d’expression, la Cour établit que « il est possible que la liberté d’expression se voit illégitimement restreinte par des conditions de facto qui engendrent, directement ou indirectement, une situation de risque ou de grande vulnérabilité pour ceux qui l’exercent. C’est pourquoi l’Etat doit s’abstenir d’agir de manière telle qu’il stimule, favorise ou approfondisse cette vulnérabilité et qu’il doit adopter, quand c’est pertinent, les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir des violations et protéger les droits de ceux qui se trouvent dans cette situation. De même, la liberté d’expression, particulièrement dans des thèmes d’intérêt public, garantit la diffusion d’information ou d’idées, même si elles ne sont pas du goût de l’Etat ou de quelque secteur de la population que ce soit […] Une vulnération du droit à la vie et à l’intégrité personnelle attribuée à l’Etat pourrait engendrer une violation de l’article 16.1 de la Convention, si elle a lieu au cours de l’exercice légitime du droit à la liberté d’association de la victime (par. 172) ».

En évaluant l’affectation des droits politiques, elle établit l’importance de la participation politique des partis d’opposition en signalant que leurs voix « sont irremplaçables pour une société démocratique, sans lesquelles il n’est pas possible d’arriver à des accords qui prennent en compte les différentes visions qui se dégagent dans une société. La participation effective de personnes, de groupes, d’organisations et de partis politiques d’opposition dans une société démocratique doit être garantie par les Etats, à travers des normes et des pratiques adéquates qui rendent possible un accès réel et effectif aux différents espaces de délibérations de manière égalitaire, mais également à travers l’adoption des mesures nécessaires pour garantir leur plein exercice, prenant en compte la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les membres de certains secteurs ou groupes sociaux (par. 173) ».

Dans ce sens, la Cour considère que la violation de ces droits est due à la continuité de leur exercice par la pensée critique et l’opposition, ce qui a engendré cette exécution extrajudiciaire « précisément parce que l’objectif de cette dernière était d’empêcher sa militance politique, où l’exercice de ces droits est fondamental. L’Etat n’a pas créé les conditions ni les garanties correctes pour que, en tant que membre de l’UP (Union Patriotique) dans un tel contexte, le Sénateur Cepeda ait une réelle opportunité d’exercer la charge pour laquelle il avait été démocratique élu, à travers le développement de la vision idéologique qu’il représentait, par sa libre participation dans le débat public, par l’exercice de sa liberté d’expression. En dernier lieu, son activité a été empêchée par la violence exercée contre le mouvement politique auquel le Sénateur Cepeda Vargas appartenait, c'est-à-dire que sa liberté d’association en a été également affectée (par. 176).

Elle signale que l’exécution extrajudiciaire « d’un opposant pour des raisons politiques n’implique pas seulement la violation de plusieurs droits de l’homme, elle porte également atteinte aux principes sur lesquels repose l’Etat de Droit et fragilise directement le régime démocratique dans la mesure où elle implique le non-respect de différentes autorités aux obligations de protection des droits de l’homme reconnus au niveau national et international, et aux organes internes qui contrôlent leur observance (par. 177) ».  De plus, elle établit que l’assassinat avait également comme objectif de terroriser et d’intimider les personnes qui « militaient dans le parti politique ou qui sympathisaient avec son idéal (par. 178) ».
  • Violations aux Droits à l’intégrité personnelle, l’honneur, la dignité, la circulation et la résidence des proches
Dans ce chapitre, La Cour évalue les menaces dirigées contre Iván Cepeda Castro et sa famille suite aux activités menées après la mort du Sénateur Manuel Cepeda en recherche de la vérité et de la justice en tant que victimes. Elle établit qu’il existe une relation entre les menaces qu’ils ont reçues et leur sortie du pays. Signalant antérieurement que « le droit de circulation et de résidence peut être affecté quand une personne est victime de menaces ou de harcèlement et que l’Etat ne pourvoit pas les garanties nécessaires pour qu’elle puisse circuler et résider librement dans le territoire concerné, même quand les menaces et le harcèlement proviennent d’acteurs qui ne sont pas de l’Etat (par. 197). 

En relation avec la violation du droit à l’honneur et à la dignité de la famille du Sénateur Manuel Cepeda Vargas, particulièrement de son fils Iván Cepeda, la Cour examine les propos prononcés pendant la campagne de réélection présidentielle de Alvaro Uribe Vélez en 2006 et reprend le jugement de la Cour Constitutionnelle Colombienne (T-959) « qui a reconnu que la diffusion de certains messages à travers les médias a porté atteinte au nom et à l’honneur de monsieur Iván Cepeda Castro, en tant que fils d’une des victimes de la violence politique du pays, et que ces droits ont été également violés pour les membres de la famille (par. 206) ». 

La Cour contemple cette sentence et établit la responsabilité de l’Etat dans la violation de ce droit (par. 210), en signalant que : « Ce Tribunal a analysé la sentence de la Cour Constitutionnelle, dans le sens où elle a déclaré la violation du droit à l’honneur et à la dignité d’Iván Cepeda Castro et des membres de sa famille par le dit message publicitaire, et qu’elle a mis en place des réparations pertinentes au niveau interne (par. 208) ». De la même manière, la Cour a condamné ce type de stigmatisations car elles exposent les membres de la famille du Sénateur Cepeda à de nouvelles menaces et au harcèlement. 
  • Réparations
Pour la réparation intégrale du Sénateur Cepeda et de sa famille, la Cour Interaméricaine a ordonné à l’Etat Colombien d’adopter différentes mesures : 

1.      De procéder à une enquête complète, à la détermination, au jugement et à l’éventuelle sanction de tous les responsables matériels et intellectuels. « En accord avec sa législation interne, l’Etat devra utiliser les moyens nécessaires pour continuer efficacement et avec la plus grande diligence les enquêtes en cours et pour ouvrir celles qui seraient nécessaires afin d’individualiser, juger et éventuellement sanctionner les responsables de l’exécution extrajudiciaire du Sénateur Cepeda Vargas, afin de lever tous les obstacles, de facto et de jure, qui pourraient maintenir cette affaire dans l’impunité. » (par. 216). De plus, suite à l’expédition du présent jugement, la Cour a ordonné à l’Etat colombien de « garantir la sécurité de la famille du Sénateur Cepeda Vargas et de prévenir un nouveau déplacement forcé ou un autre exil suite aux menaces, au harcèlement ou aux poursuites à leur encontre,… » (par. 218).

2.      La reconnaissance publique de responsabilité internationale. La Cour a souligné l’importance des actes qui favorise la récupération de la mémoire et de la dignité des victimes, mesure de garantie de non répétition. C’est pourquoi elle a ordonné à l’Etat Colombien la réalisation d’un acte public de reconnaissance de sa responsabilité, acte qui « devra être réalisé au Congrès de la République de Colombie ou dans un lieu public d’importance, en présence des membres des deux chambres et des plus hautes autorités de l’Etat » (par. 224). Au cours de cette cérémonie, on devra faire référence :
a.      « Aux faits proprement dits de l’exécution du Sénateur Manuel Cepeda Vargas, commis dans un contexte de violence généralisée contre les membres de l’UP, par action et par omission des fonctionnaires publics.
b.      Aux violations des droits de l’homme déclarées dans la présente sentence » (par. 223) ».

3.      Des mesures de commémoration et d’hommage à la victime. Vu l’importance de la récupération de la mémoire historique dans une société démocratique, la Cour a ordonné « que l’Etat réalise une publication et un documentaire audiovisuel sur la vie politique, journalistique et sur le rôle politique du Sénateur Cepeda, en coordination avec sa famille » (par. 228)

4.      La création de la bourse « Manuel Cepeda Vargas » pour les journalistes de l’hebdomadaire VOZ. Comme mesure de satisfaction, de réhabilitation et de garantie de non répétition, la Cour « dispose que l’Etat devra accorder, en une fois, une bourse au nom de Manuel Cepeda Vargas, qui sera administrée par la fondation Manuel Cepeda Vargas, pour couvrir le coût intégral d’une formation professionnelle en sciences de la communication ou en journalisme dans une université publique de Colombie élue par le bénéficiaire, frais de « maintien » inclus, pendant la période de ces études » (par. 233).